Tell me all your secrets [LENAEL]

Léandre n’arrivait pas à dormir. Déjà peu à l’aise dans son dortoir, où les ronflements de certains de ses camarades l’empêchaient de réfléchir, il était descendu dans la salle commune, pour profiter du silence qui y régnait. Mais malgré tout, le sommeil ne venait pas. Décidant qu’il était temps d’abandonner et qu’il ne dormirait probablement pas cette nuit, il remonta silencieusement à son dortoir, pour enfiler des vêtements noir, puis il sortit par le portrait de la Grosse Dame, et réussit à se faufiler jusqu’à l’extérieur du château. Il savait exactement ce qu’il avait envie de faire. Cela faisait très longtemps qu’il n’avait pas été faire un tour du côté du Lac Noir. Durant ses premières années à Poudlard, il avait été fasciné par le Calamar Géant et avait simplement décidé, un jour en première année, d’aller le rejoindre. Au début, cela avait été compliqué, mais il avait fini par apprendre le sortilège têtenbulle pour rendre ses excursions plus simples. Malgré l’image un peu effrayante qu’on lui prêtait, le calamar était en réalité une créature très agréable, assez fascinée par les êtres humains. Léandre appréciait donc passer du temps avec lui, lui apportait à manger de temps en temps, et pansait ses plaies lorsque le peuple de l’eau tentait de le chasser à coup de lances. Les choses s’étaient cependant compliquées depuis un certain temps. Il ne se permettait à présent de plonger que lorsqu’il était sûr que personne ne pourrait le voir, ce qui réduisait largement ses possibilités. Le jeune Gryffondor arriva finalement sur les berges du lac, et se dévêtit. Il ne garda que son short noir, malgré la nuit fraîche qui l’entourait, puis appliqua son sort habituel, avant de sauter à l’eau. Il se tint éloigné du territoire du peuple de l’eau, et nagea jusqu’à l’endroit préféré du calmar, où il le retrouvait en règle générale. Alors qu’il s’enfonçait dans les profondeurs aqueuses, un tentacule s’enroula autour de lui, et il fut attiré tout contre la créature qu’il cherchait. Surpris par ce câlin inattendu, Léandre rit et tapota la peau visqueuse du calamar. Visiblement, il n’était pas le seul à qui ces petites visites avaient manqué.
« Hey ! Ca fait longtemps, hein ? Désolé de t’avoir abandonné comme ça. »
Pour toute réponse, l’animal le serra un peu plus fortement, et Léandre ne put retenir une grimace. Le tentacule était juste au niveau de ses côtes et il avait à cet endroit une blessure assez mal soignée. Le calamar finit par lâcher le jeune sorcier, et ils se mirent tous deux à nager et jouer ensemble. Après un moment, le rouge-et-or se dit qu’il était peut-être temps de sortir et de retourner au château. Voyant que leur temps ensemble touchait à sa fin, le calamar attrapa à nouveau Léandre, projetant son tentacule pour déposer tranquillement le jeune homme sur la rive. Il éclata alors de rire alors que son sortilège se dissipait.
« Merci mon grand ! »
Il secoua rapidement la tête, histoire d’extraire un peu d’eau de ses cheveux, et se passa une main sur le visage. Il prit ensuite une grande inspiration, puis se retourna pour prendre ses vêtements, tout sourire après ce moment, mais s’arrêta net. Quelqu’un se trouvait là, et ce n’était vraiment pas quelqu’un qu’il avait envie de voir.

Léandre était mortifié. Selwyn avait vu son corps. Piqué au vif par la critique visant le calamar cependant, il ne put s’empêcher de répondre.
« Ca n’a rien à voir avec le calamar. Et le lac n’a rien de dangereux, si tu sais où tu vas et ce que tu fais. Mais je suppose qu’il est plus évident de blâmer une créature que tu ne connais pas plutôt que… »
Il s’arrêta. Non, ce soir il ne ferait pas l’erreur de s’ouvrir. Il ne savait pas exactement dans quelle mesure le préfet avait vu l’étendue des dégâts, il espérait juste qu’il n’avait pas pu voir tous les bleus, avec l’obscurité ambiante. Il enfila rapidement son haut pour s’assurer qu’il n’en verrait pas plus, puis secoua la tête.
« J’ai pas besoin d’aller à l’infirmerie. Ca se soignera. J’ai l’habitude. »
Il se gifla mentalement. Mais pourquoi n’avait-il plus aucun filtre avec le brun ? Aux mots de son ennemi, il sentit une immense honte monter en lui. Un joli corps ? Non, décidément, ce n’était pas le terme qu’il aurait utilisé. Abîmé, sale, ravagé… Oui, peut-être. Mais beau ? Définitivement pas.
« En effet, je ne te suivrai nulle part. Comme je te l’ai dit, je n’en ai pas besoin. Quant à une possible infection, je ne me laisserais pas avoir une autre fois. Une seule a été suffisante. »
Un courant d’air passa alors et le fit frissonner. Cela ne le dérangeait pas, il adorait le froid, cela lui donnait l’impression d’être vivant. Il renifla cependant, cherchant à titiller le côté inquiet de Selwyn pour qu’il le laisse filer plus facilement.
« Bon. Maintenant retire-moi des points, que je puisse rentrer. Ou alors ne m’en retire pas, prétends que tout ceci n’est jamais arrivé et oublie même l’autre soir. Ce sera plus simple pour tout le monde. »
Il fixa son regard dans celui de son vis-à-vis et soupira, feignant l’agacement. Tout ce qu’il espérait, au fond, c’était que le Serdaigle soit pris d’amnésie soudaine et oublie jusqu’à son existence.

Léandre ne put empêcher un ricanement de quitter ses lèvres en entendant les propos de son vis-à-vis. Courageux ? Il y avait bien longtemps qu’il avait compris que ce n’était définitivement pas ça qui l’avait envoyé à Gryffondor.
« Je n’irai pas au bout de ma pensée, je n’ai rien à te dire. Et il faudrait peut-être que tu apprennes que tous les Gryffondors ne sont pas courageux. Ouvre un livre d’histoire de temps en temps, ça pourrait te faire du bien. »
Selwyn leva les yeux au ciel, certainement agacé, bien que Léandre ne sût dire pourquoi. De toute façon, il était toujours agacé en sa présence. Et le rouge-et-or le lui rendait bien. C’était de cette façon qu’ils fonctionnaient. Il serra la mâchoire en entendant la question qui lui était posée, se maudissant d’en avoir trop dit, encore une fois.
« Oui, j’ai l’habitude, non, les créatures du lac ne me ‘bouffent’ pas, comme tu le dis si bien. La plupart sont extrêmement gentilles et douces, il suffit de les approcher de la bonne façon. »
Il espérait que son changement de sujet détournerait l’attention du préfet. Voyant qu’il semblait frigorifié, Léandre haussa un sourcil.
« Très bien, ne me retire pas de points alors. Mais tu devrais rentrer, tu vas attraper froid, visiblement. »
Il grogna cependant en voyant que Selwyn se rapprochait de lui, et fit un pas en arrière. Pas question d’avoir moins d’un mètre d’écart entre eux deux. Il avait cependant saisi l’intention du brun, qui ne semblait pas vouloir le laisser partir. Dommage pour lui, il n’obtiendrait pas de réponse à ses questions. Léandre haussa les épaules et croisa les bras, peu amusé par la situation.
« On est mal barrés tous les deux, alors. Parce que je ne te dirai rien. Je ne te dois rien. On n’est même pas amis, si je dois te le rappeler. Mais si ça t’amuse de passer le reste de la nuit ici, c’est ton problème. Moi j’en ai rien à faire. »
A ces mots, Léandre s’assit par terre, et décida de laisser ses pieds tremper dans l’eau, fixant les vaguelettes créées par l’onde. Peut-être n’était-il pas courageux, mais il était aussi têtu et obstiné que les plus célèbres Gryffondors.

Léandre ne fut pas le moins du monde affecté par le regard noir du Serdaigle, il savait qu’il avait touché un point sensible en lui disant qu’il n’était pas assez cultivé. Sa réponse le fit cependant sourire et il haussa un sourcil.
« Tu vois que tu commences à comprendre. Et ne me dis pas que toi tu en as quelque chose à faire, on sait tous les deux que c’est faux. On s’est ignorés et mutuellement détestés depuis la première année, pourquoi tu essaies de faire changer les choses ? Ca ne fonctionnera pas. »
Le Gryffondor fut agacé de constater que son changement de sujet n’avait pas fonctionné. Il voulait attirer l’attention de Selwyn sur autre chose, le distraire pour qu’il oublie cette histoire de blessure.
« J’ai l’habitude de plonger dans le lac. Tu devrais essayer. Quand tu seras moins effrayé des créatures que tu ne connais pas, bien sûr. »
Donc il était prêt à tomber malade s’il n’obtenait pas les réponses qu’il voulait ? Parfait. Au moins Léandre n’aurait-il pas à le supporter en cours durant les prochains jours. En revanche, il rêvait totalement s’il pensait que le rouge-et-or le suivrait jusqu’à l’infirmerie. Il s’était toujours débrouillé seul et n’avait pas besoin d’aide, il savait prendre soin de lui-même, il avait eu des années d’expérience.
« Ce n’est pas la première fois que tu me poses cette question, soit tu as la mémoire courte soit tu ne veux pas comprendre. Alors laisse-moi te demander ça : pourquoi tu me détestes ? La plupart des élèves m’ignorent simplement, et je le leur rends bien. Mais toi, tu as toujours mis un point d’honneur à me regarder de travers, à me hurler dessus, et à saisir toutes les opportunités pour rendre ma vie impossible. Pourquoi changer maintenant ? »
Selwyn prit place un peu en arrière, adossé à un arbre, et Léandre ne bougea pas d’un pouce, le regard fixé sur l’étendue d’eau sombre qui s’étalait devant lui.
« Parfait, moi non plus. Voyons voir qui se lassera en premier. »

Pourquoi Selwyn était-il si obstiné par cette idée de changer les choses ? Léandre aimait bien la situation actuelle, il avait toujours été solitaire et détestait l’idée qu’on vienne le sortir de son silence. Mais le Serdaigle était visiblement décidé à renverser l’ordre établi, et cela l’embêtait énormément. Il n’aimait pas qu’on le sorte de ses habitudes. Et les derniers jours avaient bousculé assez de choses comme ça. Il considéra longuement le fait de défier le préfet, de le faire plonger dans le lac. Cela présentait un double avantage : non seulement pourrait-il se moquer ouvertement de lui s’il refusait par peur, mais il pourrait aussi l’emmener vers des profondeurs desquelles il lui serait fort compliqué de remonter… Mais il ne voulait pas réellement qu’il y reste. Juste lui faire assez peur pour qu’il ne tente jamais plus de lui parler. Léandre n’avait pas mauvais fond, il se cachait simplement sous une apparence froide, par peur d’être déçu, tout simplement. Mais jamais il n’avait souhaité la mort de quelqu’un. Même pas celle du mari de sa mère. Alors qu’il était perdu dans ses pensées, des larmes de rage lui obstruant la vue à penser à ce monstre qui vivait chez lui, il fut tiré de sa rêverie par la réponse de Selwyn, qui le laissa coi. Un faible pour lui ? Il avait réellement… Non, bien sûr que non. C’était impossible. Qui aurait pu l’aimer ? Qui aurait pu poser ses yeux sur le minable qu’il était et penser qu’il avait une quelconque valeur ? Personne de sensé. Il se releva donc d’un bond et se tourna vers le Serdaigle, le pointant d’un doigt accusateur.
« Arrête tes mensonges ! Arrête ! Tu n’as pas idée de ce que tu es en train de faire. Qui t’a mis au défi de me raconter tout ça ? Qui t’a dit de te rapprocher de moi, d’essayer d’entrer dans ma tête ? »
Il n’en revenait pas, sa colère était telle qu’il sentait ses pouvoirs magiques bouillonner en lui, prêts à exploser.
« Personne ne peut m’apprécier, je ne suis digne de rien, et tu le sais parfaitement ! Alors arrête. Par pitié. Laisse-moi. »
Il détestait ce qu’il était en train de faire, il se détestait. En être réduit à réclamer qu’on le laisse tranquille… Elle était belle, la fierté Gryffondor, piétinée sous ses pieds nus et gelés.
« Je t’en prie, Nathanaël… Cesse de faire semblant. »

Léandre ne croyait pas un mot de ce qu’il entendait. C’était forcément une plaisanterie, forcément un défi lancé par le stupide meilleur ami de Selwyn. Personne ne pouvait l’aimer, on le lui avait assez répété. La première question du Serdaigle le laissa sans mot. Il avait un million de raisons à invoquer. Il n’était pas digne d’être aimé parce qu’il était un bâtard, né hors mariage, parce qu’il était le seul asiatique de sa famille, ayant pris les traits de son père qui lui restait inconnu, parce qu’il était gay et que cela ne se faisait pas, parce qu’il ne savait pas rester invisible quand on le lui ordonnait, parce qu’il ne savait rien faire de bien, parce qu’il était stupide… La deuxième question lui fit serrer la mâchoire. De quoi avait-il peur ? De tout. Des coups du mari de sa mère, de sa mère elle-même, de perdre la seule famille qu’il avait, même s’il n’y avait jamais été accepté, de mourir, de ne jamais recevoir ne serait-ce que de la reconnaissance maternelle, de n’être suffisant pour personne, même pas pour lui… La liste était bien trop longue pour un Gryffondor, censé n’avoir aucune peur, censé être brave et fort. Il était un imposteur, il l’avait toujours été.
Soudain, Selwyn l’attrapa par le col et l’attira à lui, scellant leurs lèvres dans un baiser brutal et passionné. Sans qu’il comprenne pourquoi, Léandre fondit alors purement et simplement entre les bras du Serdaigle. Il répondit à son baiser, tout à fait sous le choc, tandis que les mains du brun laissaient aller son col pour se poser contre son cou. Le rouge-et-or s’autorisa alors à passer les bras dans le dos du préfet, découvrant pour la première fois la sensation grisante d’être enlacé. Les mains de Nathanaël descendirent alors, toujours plus bas, jusqu’à se faufiler sous le haut de Léandre, qui frissonna au contact glacé contre sa peau nue. Lorsque le bleu-et-bronze mit fin au baiser, le Gryffondor le laissa à peine finir sa question, ne l’écoutant même pas, et attaqua à nouveau ses lèvres, avide de ce contact inédit qui le faisait se sentir bien pour la première fois depuis des années…
Les mains du préfet caressaient doucement sa peau, tandis que les siennes avaient fini par remonter dans ses cheveux, tirant légèrement dessus. Mais ces mains curieuses finirent par atteindre un bleu, relique d’un hématome qui n’en finissait pas de disparaître, et Léandre prit alors conscience de ce qu’il faisait. Il était vulnérable. A la merci d’un autre être humain. Et les êtres humains blessaient, humiliaient, oubliaient, délaissaient, haïssaient… Il ouvrit les yeux et repoussa sèchement Selwyn, avant de prendre la fuite en courant. Des larmes de rage coulaient sur ses joues, il se haïssait d’avoir cédé ne serait-ce qu’une seconde aux pulsions dictées par son corps. La sensation de chaleur qu'il avait ressentie entre les bras du Serdaigle était encore présente, et il espérait de tout son cœur que ce souvenir disparaîtrait plus rapidement que ses blessures.