~Just hold me close. [LENAEL]

Quelques jours étaient passés depuis la scène du lac, et Léandre en était toujours troublé. Il ne comprenait toujours pas ce qui l’avait pris de répondre au baiser de Selwyn. En réalité, il le savait très bien, mais il n’arrivait pas à se l’avouer. Le Serdaigle lui plaisait. Il aurait été aveugle s’il avait dit qu’il n’était pas attirant, et ses efforts pour apprendre à le connaître, bien qu’agaçants, lui avaient fait forte impression. C’était la première fois que quelqu’un s’intéressait un tant soit peu à lui, et cela avait bousculé toutes ses habitudes. Mais une petite voix dans sa tête, étrangement semblable à celle de sa mère, ne cessait de lui répéter que tout ceci n’était qu’illusion, que Nathanaël n’en avait finalement rien à faire, qu’il faisait simplement semblant. Alors il s’était renfermé sur lui-même, encore plus qu’auparavant. Il ne regardait même plus les autres, élèves ou professeurs, le regard vissé au sol durant la journée. Il se dirigeait pour l’instant vers son cours de Sortilèges, commun aux Gryffondors et Serdaigles. Il avait bien entendu redouté ce moment toute la journée, n’ayant absolument pas envie de se retrouver dans la même pièce que Selwyn. Mais il ne pouvait pas se permettre de rater des cours, sous peine que sa mère ne soit prévenue. Il ne voulait pas avoir à subir sa colère lorsqu’il retournerait chez lui… Alors qu’il arrivait devant la porte de la salle de classe, concentré sur un livre, il percuta quelqu’un. Il continua cependant sa route, entrant dans la salle ouverte, sans un mot ou un regard pour la personne qu’il venait de bousculer. Alors qu’il s’asseyait à sa place habituelle, deux mains se plaquèrent sur son bureau et une voix tonna à ses oreilles.
« Eh abruti ! Ta mère t’a pas appris à t’excuser ? »
Léandre tressaillit à l’évocation de sa mère mais ne réagit pas, ne souhaitant absolument pas se lancer dans un conflit. Il avait déjà trop de choses en tête. Il ne savait même pas qui se trouvait face à lui et n’en avait rien à faire, à dire vrai. L’inconnu finit par abandonner devant le silence obstiné du Gryffondor, et rejoint sa place. Alors que le cours allait commencer, le jeune homme délaissa son livre pour fixer son regard sur un parchemin, prêt à prendre des notes.
« Si t’es vraiment con à ce point, Taylor, je comprends que ton père ait jamais voulu de toi ! »
Cette remarque l’atteint bien plus qu’il ne l’aurait cru. Il se leva d’un bond, ramassa ses affaires et sortit de la salle, claquant la porte derrière lui. Il ne savait pas du tout comment cet abruti avait appris que son géniteur ne faisait pas partie du tableau, et il en était absolument ravagé. Il s’élança dans les couloirs, gravit des escaliers sans même savoir où il allait, puis se réfugia dans une salle de classe vide et se laissa tomber, genoux à terre. Les larmes coulaient déjà sur ses joues, de rage, de tristesse, de haine. Il n’en pouvait plus. Cette fois, c’en était trop. Il était épuisé de se cacher derrière sa froideur éternelle, épuisé que l’on pense qu’il ne ressentait jamais rien, épuisé d’être lui. Et il se détestait d’en être arrivé à ce point.

Léandre ne comprit qu’il n’était pas seul qu’en voyant quelqu’un s’accroupir devant lui. Il n’avait pas la force de bouger, alors il attendit simplement. Il ne savait pas réellement ce qu’il attendait, d’ailleurs. Après tout, il était en train de pleurer comme un enfant de trois ans. S’il avait eu ce comportement chez lui, il se serait certainement pris des coups. On le força à relever le menton et il reconnut alors Selwyn, qui lui lançait un regard… Inquiet ? Il passa sa main sur ses joues, tentant d’en effacer les larmes, mais elles coulaient bien trop rapidement pour que cela soit efficace. Soudainement, il se retrouva attiré entre les bras du Serdaigle et il en resta interdit une seconde, avant de totalement se laisser aller. Il éclata en sanglots, terrassé par les mots durs qui lui avaient été adressés mais également par l’incroyable sensation apportée par ce geste, qu’il n’avait jamais connu jusqu’alors. Il pleurait, il était pathétique, et… Nathanaël tentait de le consoler ? Lui qui n’avait connu que l’indifférence et la violence ne savait pas quoi faire, alors il s’accrocha désespérément au brun, ses mains se serrant sur son pull. C’était lui qui avait fui la dernière fois, et voilà qu’il voulait à présent empêcher l’autre de partir. Le visage caché dans le cou du préfet, il continua à pleurer un long moment, son trop-plein d’émotions cachées se faisant entendre après des années passé sous silence. Il avait réellement atteint sa limite. Il était incapable de parler, de bouger, de faire quoi que ce soit. Tout ce qu’il pouvait faire, c’était se serrer tout contre Nathanaël, rassuré par la présence chaleureuse du Serdaigle. Lui qui n’avait jamais fait confiance à personne, qui s’était toujours protégé des autres, se retrouvait dans une situation où il était des plus vulnérables, entre les bras de son désormais ancien ennemi, et cela semblait être la seule chose qui pouvait le calmer. Après un long moment, ses larmes se tarirent enfin, mais il resta dans la même position, trop épuisé pour bouger.

Léandre ferma presque les yeux au contact apaisant de la main de Nathanaël dans ses cheveux. Il hocha très légèrement la tête pour répondre à sa question, n’étant absolument pas certain que sa voix puisse lui être d’une quelconque utilité à cet instant précis. Après un moment, il finit par se détacher du brun, totalement perdu. Leurs mains étaient enlacées et il les fixa, peu sûr de ce que cela pouvait bien signifier. A présent un peu plus calme, il se rendait compte de la situation, de sa vulnérabilité. Il se leva et alla fermer la porte avant de se laisser glisser contre celle-ci, le regard bas.
« Il a raison. Mon père n’a jamais voulu de moi. Personne d’autre, d’ailleurs. »
Il avait eu raison de ne pas se fier à sa voix un peu plus tôt. Elle sonnait faible, brisée, pathétique. Comme lui, finalement…
« Ils me haïssent tous. Ils m’ont toujours haï. Pas de la bonne couleur de peau, pas né de la bonne façon, pas de la bonne orientation sexuelle, pas assez silencieux, pas assez reconnaissant… Je ne suis rien. Pour personne. On me l’a fait comprendre assez de fois. On me l’a littéralement rentré dans le crâne, j’en ai encore la cicatrice… Tu te souviens de ce que je t’ai dit, à propos de tes pères ? J’aurais tout donné pour avoir une famille comme la tienne. Parce que la mienne… Ce n’est pas une famille. Pas pour moi. Moi je suis l’enfant de trop, celui qui n’aurait jamais dû exister. Celui qui n’est pas comme eux. Et je suis fatigué, Nathanaël… Si fatigué… Je n’en peux plus… »
Une nouvelle larme coula sur sa joue, solitaire cette fois, et il l’effaça rapidement, comme honteux. Il savait que chez lui, il n’avait pas le droit de pleurer. Mais ici ? Dans cette salle vide, avec pour seule présence le Serdaigle, il se sentait comme libéré. Il était certain que cela ne durerait pas, après tout, personne n’était jamais resté auprès de lui, mais dire toutes ces choses à voix haute le libérait d’un poids énorme qu’il avait sur les épaules depuis bien longtemps.

Léandre releva légèrement les yeux en entendant Nathanaël dire qu’il voulait de lui. Mais il n’en fit pas grand cas, après tout, c’était la première fois qu’on le lui disait, et il avait tant perdu confiance en l’être humain qu’il ne voulait pas le croire. Le Serdaigle se trompait, il changerait d’avis assez rapidement, Léandre y était habitué. Mais lorsqu’il s’assit à ses côtés, l’attirant contre lui, le Gryffondor ressentit à nouveau cette chaleur, ce nœud dans son estomac, ce sentiment… Qu’il était à sa place. Il ne put alors empêcher un léger soupir de quitter ses lèvres, tandis qu’il s’enfonçait un peu plus dans l’étreinte du brun. Son corps réagit alors avant qu’il ait le temps de penser et il saisit l’une des mains du préfet dans la sienne, entrelaçant leurs doigts.
« Merci… »
Il ne savait pas vraiment pourquoi il le remerciait tant il était reconnaissant. Pour la première fois de sa vie, on le prenait au sérieux, on lui faisait entendre qu’il était humain, qu’il méritait mieux. Et cela faisait un bien fou.
« Je ne veux pas qu’ils souffrent… Ils restent ma famille. Mais je suis juste… Tellement fatigué des insultes et des coups… C’est pour ça que je ne rentre jamais pour Noël. De toute façon, ils ne veulent pas de moi à ce moment. Je ne ferais que gâcher la fête. Pourquoi devraient-ils avoir le petit bâtard, la chose honteuse dans les pattes, alors qu’ils peuvent jouer à la petite famille parfaite ? »
Il haussa les épaules, continuant son monologue tout en regardant leurs mains. Il était fasciné par leur capacité à s’emboîter, comme si elles avaient toujours été faites pour se trouver.
« Mais on s’habitue. A force, on ne sent presque plus rien. La peau devient plus dure, le caractère aussi. »
En prononçant ces mots, il se rendit compte que cela avait changé les dernières semaines, qu’il ne supportait plus toutes ces pensées.
« Toi… Tu m’as forcé à m’ouvrir. Et je ne sais pas si je dois te haïr ou t’aimer pour tout ce que tu me fais ressentir. »

Lorsque Nathanaël se redressa d’un coup, Léandre tressailli, comme paralysé. La colère qui résonnait dans sa voix lui fit peur et, par réflexe, il se protégea le visage. Il ne put même pas répondre à sa remarque, comme tétanisé. Sa propre réaction le dégoûtait, il était si faible… Puis il annonça d’un ton catégorique que le Gryffondor devait venir chez lui pour Noël, et cela le fit à nouveau paniquer. Non, clairement, il préférait rester seul à Poudlard comme il en avait l’habitude, plutôt que de se retrouver face à la parfaite petite famille qu’était celle du Serdaigle. Rien que le fait d’y penser le terrorisait. Il n’était déjà pas assez bien pour sa propre famille, alors pour celle d’un autre ? Pas moyen qu’il le suive.
« Non. Je… Je resterai ici. C’est mieux comme ça. »
Il ne voulait pas lui dire ce qu’il pensait vraiment, parce qu’il ne voulait pas que le bleu-et-bronze voit ce côté pathétique de lui. Il avait toujours été le froid et distant Léandre Taylor, qui ne se laissait pas intimider par qui que ce soit, et cette autre facette de lui n’était pas quelque chose qu’il voulait partager. Malgré l’attirance certaine qu’il pouvait ressentir pour le brun, il n’était réellement pas prêt à être tout à fait lui-même devant lui. Il irradiait toujours la colère lorsqu’il se mit soudain à sourire bêtement, après avoir entendu les mots du rouge-et-or, qui semblèrent même le calmer un peu. Et ce qu’il répondit ne fit que rendre Léandre encore plus confus. Qu’était-il censé répondre ? Que là tout de suite, il lui faisait peur, et qu’il n’était pas sûr du tout d’apprécier ce côté de sa personnalité ? Mais en même temps, il semblait tellement décidé à faire les choses bien…
« Je n’en sais rien… Pour l’instant, je… Tu sais que je ne suis pas doué avec les autres êtres humains. Il me faut du temps. »
Il laissa planer un moment de silence, le regard bas, avant de reprendre la parole.
« Et je comprendrais que tu ne veuilles pas de moi une fois que tu auras appris à me connaître, mais… Ne me laisse pas me lancer à corps perdu là-dedans alors que tu n’es pas entièrement sûr de toi. Je ne suis pas quelqu’un de facile à vivre, j’ai tellement de défauts qu’il faudrait plus d’une vie pour les compter. Réfléchis bien. Parce que si je laisse les sentiments que j’éprouve pour toi évoluer et se renforcer, et que tu finis par me laisser tomber, je ne suis pas sûr d’y survivre. »